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Intelligence économique et accès aux marchés dans la ZLECAf – Par Dr Jacob Kotcho

Selon l’OMC, le concept d’accès aux marchés pour les marchandises recouvre les conditions ainsi que les mesures tarifaires et non tarifaires pour l’admission de produits spécifiques sur leurs marchés des Etats[1]. Dans cet exercice, nous tenterons d’esquisser une conception de l’accès aux marchés qui soit adaptée aux évolutions du contexte actuel du système commercial multilatéral et d’analyser le rôle que peut jouer l’intelligence économique dans ce contexte également marqué par la mise en œuvre de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf).

Définition et enjeux

Pour être plus générale, la définition formulée par l’OMC pourrait s’appliquer aux services et fournisseurs de services, ainsi qu’aux investisseurs et leurs investissements. On considèrerait alors l’accès aux marchés comme l’ensemble des barrières tarifaires et non tarifaires (incluant les règlementations et les procédures) qui déterminent la capacité d’une entreprise à accéder aux opportunités qu’offre un marché donné qu’il soit national ou international (vendre ses biens et services, y réaliser un investissement pour produire et vendre les marchandises ou des services, etc..

Au regard de ce qui précède, on peut distinguer deux types d’accès aux marchés : l’accès préférentiel et l’accès non préférentiel. L’accès non préférentiel suppose que les entreprises, les marchandises ou les services et les fournisseurs de services ne bénéficient pas de préférences particulières (exemption ou assouplissement des obligations tarifaires, règlementaires, procédurales, etc.) pour pouvoir pénétrer dans un marché donné. Dans ce cas, l’accès au marché est soumis à un régime de droit commun. Celui-ci peut être libéral ou restrictif, mais il est appliqué à tous les partenaires de manière non discriminatoire. Par contre, l’accès préférentiel est régi par des règles spécifiques déterminées par un accord préférentiel. Il est caractérisé par des conditions moins contraignantes que celles fixées par les règles du droit commun, et qui ne s’appliquent qu’aux marchandises, aux services et fournisseurs de services, aux investisseurs et leurs investissements, originaires des Etats partis à l’accord commercial préférentiel. Pour l’entreprise, cette distinction est essentielle dans la mesure où elle peut modifier substantiellement la compétitivité de ses produits et services sur le marché de destination.

Mattoo, Rocha, & Ruta (2020) définissent les accords commerciaux profonds comme des accords réciproques entre pays qui couvrent non seulement le commerce mais aussi des domaines de politiques supplémentaires (extra commerciaux). Ce sont des arrangements internationaux visant à réglementer trois ensembles de domaines de politiques (qui se chevauchent partiellement) notamment : (a) les domaines qui visent à établir cinq droits d’intégration économique ; (b) les domaines qui visent à soutenir ces droits à l’intégration économique en limitant le pouvoir discrétionnaire du gouvernement, et (c) les domaines qui visent à améliorer le bien-être social ou des consommateurs en réglementant le comportement des exportateurs. Cette évolution conceptuelle appelle à un élargissement de la réflexion sur l’apport de l’intelligence économique dans l’analyse et l’élaboration des stratégies d’accès aux marchés.

Que ce soit dans un contexte préférentiel ou non préférentiel, le débat théorique sur l’accès aux marchés se mène autour du libéralisme et le protectionnisme. Sans vouloir entrer dans le détail de ces courants de pensée, il nous suffit de préciser ici que notre conception de l’accès aux marchés découle de la notion d’accord commercial profond qui est une forme d’accords commerciaux régionaux (ACR) qui correspond aux évolutions observées depuis la création de l’OMC dans les caractéristiques desdits accords. En effet, le nombre d’accords commerciaux régionaux en vigueur dans le monde à augmenter de manière exponentielle, passant de 47 en 1995 à 374 en 2024. Au-delà de l’évolution du nombre de ces accords, une autre caractéristique est l’approfondissement du leur portée et du champ qu’ils couvrent. Alors que dans les années 1950, les ACR couvraient en moyenne huit domaines, ces dernières années, ils en ont porté en moyenne sur 17. Malgré la réduction générale des barrières tarifaires à l’échelle globale, les analyses indiquent que les barrières non tarifaires constituent aujourd’hui les principales entraves à l’accès aux marchés aussi bien pour les marchandises que pour les services. Concernant le commerce des marchandises, les statistiques de l’OMC[2] montrent que le nombre de mesures non tarifaires notifiées et en vigueur 2021 à travers le monde au 31 décembre, reste considérablement élevé : 22065 mesures sanitaires et phytosanitaires pour 329 problèmes commerciaux spécifiques, 32478 mesures et 715 problèmes commerciaux spécifiques relatifs aux obstacles techniques au commerce ; Concernant les mesures de défense commerciales : 2443 mesures antidumping, 316 mesures compensatoires, 121 mesures de sauvegarde ; Concernant le commerce des produits agricoles, 652 mesures de sauvegarde spéciales, 1274 mesures de contingentement tarifaires, 429 mesures de subvention à l’exportation, 1636 mesures de restrictions quantitatives.

Dans un tel contexte, la collecte, l’analyse et l’utilisation des informations pour aider les entreprises et les gouvernements à prendre des décisions éclairées concernant la prospection, l’accès et l’exploitation des marchés devraient intégrer la progression du champ et de la portée des accords commerciaux profonds, mais aussi la mutation de la nature des barrières à l’accès aux marchés. En d’autres termes, les piliers principaux de l’intelligence économique appliqués à l’accès aux marchés, devraient tenir compte de ces évolutions. Cette adaptation est d’autant plus urgente dans le contexte africain, que l’asymétrie d’information qui caractérise des milieux d’affaires et les sphères de décision, d’une part, et le niveau élevé d’informalité dans les affaires, d’autre part, constituent des entraves importantes à la capacité des acteurs à innover, à conquérir des parts de marché et à contribuer pleinement au bien-être des populations et à la prospérité de leurs nations.

L’intelligence économique, l’accès aux marchés et la ZLECAf

L’accord sur la ZLECAf est un instrument juridique complexe. Au-delà de l’Accord cadre instituant la ZLECAf, il dispose de huit Protocoles approuvés et 41 annexes et règlements. Chacune des annexes règlemente au moins un instrument de politique commerciale ou de politique économique dans la perspective de promouvoir le commerce intra-africain, contribuer à l’industrialisation et la diversification économique. La structure détaillée de l’accord sur la ZLECAf comprend :

  • Le Protocole sur le commerce des marchandises : il contient neuf annexes portant sur la liste de concessions tarifaires, les règles d’origine, la coopération douanière, la facilitation des échanges, l’élimination des barrières non tarifaires (BNT), les Obstacles Techniques au Commerce (OTC), les Mesures Sanitaires et Phyto sanitaires (SPS), les mesures correctives commerciales et le transit.
  • Le Protocole sur le commerce des services : il est constitué de six annexes sur les listes d’engagements spécifiques, les exonérations au traitement de la Nation la Plus Favorisée (NPF), les services de transport aérien en liaison avec le Marché Unique du Transport Aérien (MUTA), le programme de travail transitoire, la liste des secteurs prioritaires, le document cadre de coopération règlementaire.
  • Le Protocole sur les règles et procédures de règlement des différends : comprenant trois annexes sur l’organisation des délibérations, l’examen par les experts et le Code de conduite des arbitres et des membres du Groupe Spécial.
  • Le Protocole sur l’investissement qui comprend deux annexes sur l’Agence panafricaine du commerce et de l’investissement et sur le Règlement des différends.
  • Le Protocole sur les droits de propriété intellectuelle contenant neuf annexes sur la protection des obtentions végétales, les indications géographiques, les marques, le droit d’auteur et les droits voisins, les brevets, les modèles d’utilité, les dessins et modèles industriels, les savoirs traditionnels, les expressions culturelles traditionnelles et les ressources génétiques, l’Office de la propriété intellectuelle de la ZLECAf.
  • Le Protocole sur la politique de concurrence incluant quatre annexes notamment le Règlement sur les seuils en matière de fusions et acquisitions et de position dominante, le Règlement sur les pouvoirs et les procédures de l’Autorité, le Règlement sur la composition et les modalités de fonctionnement du Tribunal et le Règlement révisé relatif à la création du réseau de la concurrence de la ZLECAf.
  • Le Protocole sur les femmes et les jeunes qui ne dispose pas encore d’une annexe au stade actuel.
  • Le Protocole sur le commerce digital qui dispose huit annexes sur les identités numériques, les critères de détermination des raisons légitimes et légales d’intérêt public justifiant la divulgation du code source, la sécurité et la sûreté en ligne, les technologies émergentes et avancées, les transferts transfrontaliers de données, les paiements numériques transfrontaliers, les technologies financières et les Règles d’origine.

Pour la mise en œuvre d’un instrument aussi complexe au bénéfice des entreprises et des populations, l’intelligence économique doit jouer un rôle crucial en permettant aux entreprises et aux décideurs de mieux comprendre l’environnement concurrentiel dans tous domaines sus cités et d’anticiper les évolutions économiques. Ce rôle devrait concerner l’accès aux données stratégiques (les dotations factorielles, les opportunités d’investissement, les règlementations et les procédures, les tendances des marchés, les préférences et les comportements des consommateurs, etc.), la réduction des asymétries d’information, l’identification des opportunités, la protection contre les risques, l’influence et le positionnement stratégique (l’identification des acteurs clés, et l’orientation de leurs décisions).

Dr Jacob Kotcho

 


 

[1] https://www.wto.org/french/tratop_f/markacc_f/markacc_f.htm#:~:text=Le%20concept%20d’acc%C3%A8s%20aux,produits%20sp%C3%A9cifiques%20sur%20leurs%20march%C3%A9s.

[2] Voir I-TIP Goods: Integrated analysis and retrieval of notified non-tariff measures, https://i-tip.wto.org/goods/Default.aspx