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Intelligence économique et industrialisation de l’Afrique, par Dr Lansana Gagny Sakho

En 2023, l’Afrique représentait 2% de la Valeur Mondiale Manufacturière (VAM). Cette part est en baisse par rapport à 1970 où elle représentait 3%. Cette faiblesse de la part de l’Afrique relève d’une désindustrialisation relative du continent, malgré une croissance démographique et une urbanisation rapide. Cette faible performance industrielle du continent africain est quelque en décalage au regard du potentiel d’attraction des investissements qu’il dispose.

L’Afrique est pourtant riche en ressources naturelles et en potentiel humain, et aspire à une transformation économique durable. L’industrialisation est un des leviers essentiels pour stimuler la croissance, créer des emplois, et renforcer l’autonomie des pays africains. Cependant, cette ambition se heurte à de nombreux défis structurels, économiques et géopolitiques : manque de vision politique, instabilité politique, faiblesse de la taille du marché, difficultés d’accès au financement, et faible niveau du capital humain sont des entraves majeures à l’industrialisation du continent.

Il existe également des défis persistants autour de plusieurs facteurs comme la faiblesse des infrastructures, le coût des facteurs techniques de production, la faible intégration des chaînes de valeur (exportation de matières premières non transformées).

Face à ces défis, des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ont été mises en place pour stimuler l’industrialisation en favorisant le commerce intra-africain et en attirant les investissements. A côté de la ZLECAF, des mesures additionnelles sont mises en œuvre au niveau sous-régional pour l’amélioration des infrastructures, le renforcement des capacités humaines et l’accès au financement pour accroître la contribution de l’Afrique à la VAM.

Toutes ces mesures sont en cohérence l’objectif 26 de la vision de l’agenda 2063 l’Afrique que nous voulons « Faciliter des échanges verra l’expansion rapide du commerce intra-africain qui passeront à près de 50% en 2045, et la part de l’Afrique dans le commerce mondial passera de 2% à 12%. Ce qui, à son tour, stimulera la croissance des entreprises panafricaines de portée mondiale dans tous les secteurs »

Cependant le succès de cette volonté politique des leaders africains ne peut pas se limiter à des investissements, elle passe par une maitrise de l’information à travers l’intelligence économique qui constitue un levier essentiel pour accompagner une industrialisation durable et compétitive en Afrique. La maîtrise de l’information stratégique (intelligence économique) et le développement des capacités productives (industrialisation) sont incontournables. Ils permettent d’éclairer les choix stratégiques, de protéger les ressources industrielles, et de positionner les pays africains dans un environnement économique mondial de plus en plus complexe et compétitive.

Dans ce contexte, l’intelligence économique (IE) apparaît comme un outil stratégique indispensable pour accompagner et sécuriser le processus d’industrialisation de l’Afrique à travers trois (3) axes majeurs :

  • L’influence comme outil de souveraineté

Le discours sur la souveraineté est devenu de plus en plus récurent en Afrique. Il tient son fondement dans la volonté des populations africaines de prendre en main leur destin. L’Afrique doit utiliser l’influence comme outil de souveraineté pour exercer une influence stratégique sur les normes et régulations internationales.

Souvent marginalisée dans ces débats, l’Afrique peut participer activement à la définition des règles du commerce international, négocier des accords avantageux pour soutenir son industrialisation et promouvoir ses intérêts dans les forums économiques mondiaux. Mais elle devra parler d’une seule voix.

  • La veille pour orienter la promotion de l’industrie africaine

À travers la veille technologique, commerciale et réglementaire, les pays africains doivent identifier les filières porteuses (agroalimentaire, textile, énergies renouvelables, etc.), adapter leur offre industrielle aux besoins du marché régional et mondial, anticiper les évolutions géopolitiques, climatiques et économiques. Cette veille pour la promotion de l’industrie africaine est un préalable.

  • La protection des ressources locales

Dans un monde où la compétition est féroce, protéger les innovations et les ressources devient fondamental. Le continent doit s’engager de façon déterminée à lutter contre le pillage des ressources naturelles, mettre en place des politiques de propriété intellectuelle pour valoriser l’innovation locale, préserver les secrets industriels et renforcer la cybersécurité.

Cependant, pour faire de l’intelligence économique un outil de promotion de l’industrialisation, il est indispensable que l’Afrique arrive à développer une culture de la veille, mettre en place des structures de gouvernance coordonnées, fiables et stables, renforcer les capacités humaines et institutionnelles, promouvoir une industrialisation basée sur les données, encourager l’intégration régionale et la coopération stratégique.

L’intelligence économique représente une opportunité unique pour accompagner l’industrialisation du continent africain de manière stratégique, sécurisée et durable. Elle permet d’orienter les choix industriels, de protéger les intérêts nationaux et de renforcer l’influence du continent dans l’économie mondiale. Toutefois, pour que cet outil atteigne son plein potentiel, il est impératif de surmonter les défis structurels liés à la gouvernance, à la formation et à l’accès à l’information. À l’heure où l’Afrique cherche à construire une croissance plus inclusive et souveraine, l’intégration de l’intelligence économique dans les politiques industrielles est non seulement souhaitable, mais indispensable.

Dr Lansana Gagny Sakho