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Vers une intelligence économique territoriale africaine : cas du Togo – Par Dr Zack Bawa

En Afrique, l’intelligence économique prend une place de plus en plus centrale dans les politiques publiques. Alors que les territoires sont confrontés à des défis de compétitivité, d’attractivité et de résilience face aux mutations géopolitiques, économiques et technologiques, l’accès à l’information stratégique devient un atout majeur. Plusieurs pays africains ont engagé des démarches dans ce sens, mais ces initiatives restent souvent concentrées à l’échelle des capitales, sans réel ancrage territorial. Pourtant, c’est bien à l’échelle locale que se jouent de nombreuses dynamiques économiques, sociales et sécuritaires.

Au Togo, cette approche territoriale de l’intelligence économique s’inscrit parfaitement dans les ambitions de la feuille de route gouvernementale 2020–2025, qui vise à moderniser l’économie, renforcer l’inclusion sociale et positionner le pays comme un hub logistique et de services de référence dans la sous-région. Dans ce cadre, le développement d’une intelligence économique territoriale constitue un levier transversal qui peut soutenir plusieurs projets prioritaires de la feuille de route, notamment ceux liés à la transformation agricole, aux zones industrielles, à la digitalisation de l’administration et à l’attractivité des investissements.

La décentralisation, un socle à consolider pour l’intelligence économique des territoires

Au Togo, la dynamique de décentralisation qui sort de sa phase de test avec les élections régionales d’avril 2024 et les municipales à venir de juin 2025, offre une opportunité concrète pour renforcer l’autonomie des collectivités territoriales et leur capacité à piloter leur propre développement. Depuis les élections de 2019, les communes sont appelées à jouer un rôle de premier plan dans la planification économique locale. En dotant les collectivités de compétences en matière de collecte de données, d’analyse stratégique, de veille concurrentielle et de protection de l’information, on peut permettre à chaque commune de mieux comprendre ses atouts, de détecter les opportunités, d’anticiper les risques et de dialoguer à égalité avec les investisseurs. Cela suppose un investissement dans la formation des élus et des équipes techniques, ainsi qu’un accompagnement méthodologique adapté aux réalités locales.

La valorisation des territoires, une condition pour leur rayonnement

L’un des piliers de l’intelligence économique territoriale consiste à promouvoir activement les ressources spécifiques de chaque territoire. Qu’il s’agisse des potentialités agricoles dans les savanes, des infrastructures portuaires dans la Maritime et à Lomé, des filières artisanales dans la Kara et la Centrale ou encore du tourisme écologique dans les Plateaux, chaque région togolaise a des cartes à jouer pour construire son attractivité.

Dans cette optique, les collectivités doivent apprendre à structurer une offre territoriale claire, lisible et crédible, appuyée sur des données fiables et une communication efficace. Les salons économiques, les partenariats de coopération décentralisée, les plateformes numériques locales ou encore les campagnes de marketing territorial peuvent jouer un rôle structurant dans cette dynamique.

Le CAVIE comme catalyseur continental

Dans ce chantier, le Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique (CAVIE) peut jouer un rôle fondamental. En tant que structure panafricaine de référence, le CAVIE dispose d’une expertise précieuse pour accompagner les États et les collectivités dans la mise en place de dispositifs d’intelligence économique adaptés à leurs enjeux.

Son appui pourrait notamment concerner l’installation de cellules de veille territoriale, la formation des cadres municipaux, la sécurisation de l’information stratégique ou encore la mise en réseau des territoires togolais avec d’autres collectivités africaines avancées dans ce domaine. La collaboration entre les institutions togolaises et le CAVIE offrirait ainsi une base solide pour structurer une approche nationale cohérente, tout en bénéficiant des bonnes pratiques à l’échelle continentale.

Les investissements et la transformation économique locale, un lien à renforcer

Un autre pan essentiel de l’intelligence économique territoriale concerne l’investissement. Pour attirer des capitaux sur leur sol, les collectivités doivent pouvoir anticiper les besoins des investisseurs, offrir un accompagnement fluide et fiable, et démontrer la pertinence de leurs projets. L’intelligence économique permet justement de collecter, structurer et valoriser cette information stratégique.

Les outils comme les guichets d’accueil des investisseurs locaux, les diagnostics territoriaux, les bases de données économiques locales ou encore les partenariats public-privé peuvent ainsi être renforcés. Cela entre en parfaite résonance avec la feuille de route gouvernementale qui vise, entre autres, à stimuler l’emploi, notamment des jeunes, à travers des investissements ciblés dans des filières à fort potentiel.

L’alignement stratégique avec la feuille de route 2020–2025

La démarche d’intelligence économique territoriale n’est pas une logique en marge de la planification nationale ; elle en est le prolongement opérationnel au niveau local. En ce sens, elle s’inscrit directement dans la vision du gouvernement qui veut faire du Togo un pays stable, moderne et attractif, où les territoires deviennent moteurs de la croissance et de l’inclusion. Les projets structurants de la feuille de route, qu’il s’agisse de la mise en place des agropoles, des zones industrielles, du corridor logistique Lomé-Cinkassé, ou du développement de l’économie numérique, gagneraient en efficacité s’ils étaient adossés à une capacité territoriale à collecter de l’information, à orienter les priorités locales et à proposer une offre économique bien construite. L’intelligence économique territoriale devient alors un véritable catalyseur de réussite pour ces projets.

Conclusion

Le Togo dispose aujourd’hui des fondations pour bâtir une intelligence économique territoriale authentiquement africaine, ambitieuse, pertinente et alignée avec ses objectifs nationaux. En mobilisant les acquis de la décentralisation, en misant sur la formation des acteurs locaux, en valorisant les atouts spécifiques des régions et en s’appuyant sur des partenaires techniques comme le CAVIE, le pays peut faire émerger un modèle inspirant pour l’Afrique.

Cette approche contribuerait à renforcer la souveraineté économique du Togo, à créer des opportunités concrètes pour les populations, et à mieux insérer les territoires dans les grandes dynamiques de transformation régionale et mondiale.

Dr Zack Bawa