Un contexte mondial de plus en plus concurrentiel
Nous ne sommes plus à l’époque où il fallait remonter à l’Antiquité[1] ou à la période moderne pour démontrer l’importance de la veille stratégique et de l’intelligence économique dans la vie des entreprises. Aujourd’hui, le constat est sans appel : « l’économie mondiale est un véritable champ de bataille où les entreprises se livrent une guerre sans merci»[2].
Les atteintes aux secrets technologiques, financiers et stratégiques se sont multipliées ces dernières années, au point de devenir courantes. Pour s’en prémunir, les acteurs économiques doivent adopter des mesures proactives afin d’assurer leur sécurité et leur sûreté, tant face aux accidents qu’aux actes de malveillance.
L’intelligence économique : un outil de prévention et d’anticipation
L’intelligence économique (IE) répond à ce besoin en fournissant une capacité d’anticipation, permettant aux entreprises d’imaginer des futurs et de s’y préparer. Elle s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique essentiel, dans un monde globalisé, ouvert et interdépendant, confronté à de nouvelles formes d’insécurité et de guerres économiques invisibles, souvent menées via les technologies numériques.
L’intelligence économique peut être définie comme « l’ensemble des activités coordonnées de collecte, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs économiques, en vue de son exploitation »[3]. Cette définition peut être élargie pour inclure l’IE parmi les outils principaux de la guerre économique, qui a pris le relais de la guerre froide après l’effondrement du bloc soviétique.
Les politiques publiques d’intelligence économique à l’international
De nombreux pays ont mis en place, depuis plusieurs années, des politiques publiques d’intelligence économique. Ces politiques visent à doter les entreprises, universités, centres de recherche et associations, des moyens nécessaires pour maîtriser l’information stratégique et gagner en compétitivité.
L’intelligence économique en Mauritanie : état des lieux
En Mauritanie, l’IE est encore peu développé. Toutefois, des efforts sont en cours, notamment au niveau de l’État. L’organigramme du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) prévoit la création d’une Unité Stratégique de Conseil et d’Innovation (USCI[4]), rattachée au cabinet du ministre.
À ce jour, il n’existe pas de politique publique structurée en matière d’IE. Contrairement à des pays voisins comme le Maroc ou la Tunisie, la Mauritanie ne dispose pas d’un organe central chargé de coordonner la veille stratégique, la protection du patrimoine informationnel ou la promotion de l’influence économique. Cela dit, plusieurs initiatives ponctuelles témoignent d’une prise de conscience progressive :
Initiatives notables :
- Partenariat avec Oxford Business Group (OBG) : En 2021, l’Agence de Promotion des Investissements en Mauritanie (APIM) a signé un protocole d’accord avec OBG pour la production d’un rapport annuel sur l’économie nationale. Ce rapport fournit des analyses sectorielles et met en évidence les opportunités d’investissement, participant ainsi à une forme de veille économique.
- Collaboration avec les institutions financières internationales : Les rapports de la Banque mondiale et du FMI fournissent des diagnostics économiques détaillés. Bien que ces rapports ne soient pas spécifiquement centrés sur l’IE, ils offrent des données exploitables dans une démarche de veille stratégique.
Cadre de développement : transparence et ouverture des données
La Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP)[5], adoptée par le Gouvernement mauritanien, propose une approche basée sur des indicateurs de performance, en grande partie inspirés des Objectifs de Développement Durable (ODD). Une politique d’ouverture des données publiques pourrait renforcer cette stratégie, en favorisant la collecte, la centralisation et l’exploitation des données nécessaires.
Cette dynamique permettrait également une coopération accrue avec les organisations de la société civile, qui jouent un rôle important dans le suivi des ODD.
Engagements en faveur de la transparence :
- Stratégie nationale de lutte contre la corruption adoptée en décembre 2010 ;
- Adhésion à la Convention des Nations Unies contre la corruption (octobre 2006) ;
- Participation à des initiatives internationales de transparence, telles que :
- Le programme BOOST[6] (Open Budget),
- L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE),
- L’Initiative pour la transparence dans les pêches (FiTI), lancée à Nouakchott en février 2016 ;
- Organisation de la conférence de l’Union africaine sur la transparence en 2015, avec une résolution finale engageant les États à garantir l’accès à l’information et à renforcer la redevabilité.
Les défis à surmonter
Malgré ces initiatives prometteuses, plusieurs obstacles freinent le développement de l’intelligence économique en Mauritanie :
- Manque de coordination interinstitutionnelle : L’absence de synergie entre les différents acteurs limite l’efficacité des actions de veille et d’analyse stratégique.
- Faible culture de la veille stratégique : Les entreprises, en particulier les PME, manquent souvent de compétences et de ressources pour mettre en œuvre une veille concurrentielle ou technologique.
- Infrastructures numériques insuffisantes : La généralisation de l’IE suppose des infrastructures technologiques robustes, qui sont encore absentes dans plusieurs régions du pays.
Quelles perspectives pour la Mauritanie ?
Pour combler ces lacunes, la Mauritanie pourrait s’inspirer de modèles étrangers et adopter les mesures suivantes :
- Élaborer une stratégie nationale d’intelligence économique : Cela inclurait la création d’une structure dédiée, la formation de spécialistes et la coordination entre les secteurs public et privé.
- Renforcer les capacités des entreprises locales : Des programmes de formation et de sensibilisation devraient être mis en place pour intégrer la veille stratégique dans le quotidien des entreprises.
Conclusion
L’intelligence économique en Mauritanie en est encore à ses premiers balbutiements. Si certaines actions institutionnelles ou partenariales contribuent indirectement à sa mise en œuvre, une approche plus structurée et cohérente s’impose.
La définition d’une stratégie nationale claire, la professionnalisation des acteurs concernés, et le renforcement des infrastructures sont des étapes essentielles pour faire de l’IE un véritable levier de compétitivité et de souveraineté économique pour la Mauritanie.
Dr Abdellahi Sabah Erebih
[1] l’Art de la guerre de guerre de SUN TZU
[2] François Mitterrand, lettre à tous les Français, avril 1988
[3] wikipedia.org/wiki/Intelligence économique
[4] Article 14 du décret 235 – 2024 du fixant les attributions du Ministère de l’économie et des finances
[5] L’ensemble des documents relatifs à la SCAPP sont disponibles à l’adresse http://ww.mp.mr/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=36&Itemid=173