Cette étude repose sur l’idée que l’information systématiquement traitée — les mégadonnées — constitue une source de pouvoir. Lorsqu’elle est analysée de manière professionnelle, elle permet aux États de prendre des décisions stratégiques éclairées, intégrant l’essence même de leur souveraineté, notamment en matière de stratégie de sécurité nationale, et leur offre la capacité d’anticiper les actions et décisions d’autres États.
Ce travail examine l’intelligence économique comme un outil stratégique au sein de la diplomatie et des relations internationales, susceptible de renforcer la souveraineté des États africains. L’argument principal est que, grâce à l’analyse stratégique de l’information, les États africains peuvent tirer parti des bouleversements actuels des affaires mondiales pour opérer des changements stratégiques et adopter des postures diplomatiques affirmant pleinement leur souveraineté.
L’objectif est de démontrer que les États africains, à travers l’usage stratégique de l’intelligence économique, doivent répondre à la nécessité émergente d’un nouvel ordre mondial — un ordre permettant à chaque État d’exercer sa souveraineté sans influence ou coercition indue de la part d’anciennes puissances coloniales, de nations dominantes ou d’organisations globales. Cette posture stratégique est justifiée par le tumulte actuel des systèmes politiques, économiques et financiers mondiaux, largement dominés par l’Occident, coïncidant avec une crise globale multifacette survenant à une époque de communication instantanée et généralisée.
En utilisant des données primaires et secondaires et en employant des méthodes qualitatives et quantitatives, cette étude adopte une approche pluridisciplinaire. Elle s’appuie sur des expertises en histoire mondiale, sociologie politique, études sur la paix et les conflits, sciences politiques, diplomatie et relations internationales, ainsi qu’en science des données. À travers cette perspective, nous identifions des schémas et des tendances dans la prise de décision des États africains concernant l’affirmation de leur souveraineté, visant à obtenir un avantage compétitif dans un monde encore influencé par l’hégémonie occidentale.
En appliquant des concepts issus de la théorie des jeux, cette étude soutient que les États africains doivent développer et déployer l’intelligence économique pour naviguer stratégiquement dans les complexités des relations internationales. Cela leur permettra d’anticiper les changements mondiaux, de réduire les menaces extérieures à leur souveraineté et de s’engager de manière plus compétitive sur la scène mondiale.
Plus de soixante ans après leur indépendance et plus de trois décennies après la chute du mur de Berlin, les États africains connaissent un changement de paradigme. Ce changement reflète une attention renouvelée sur la manière dont ils exercent leur souveraineté dans les affaires mondiales. L’analyse révèle cinq voies principales par lesquelles l’intelligence collective a façonné ce repositionnement :
- La création de blocs régionaux tels que la CEDEAO, l’UMA, la CEEAC, la SADC, la CEN-SAD et la CEMAC ;
- La promotion d’une monnaie africaine commune ;
- L’établissement de cadres pour le commerce libre et transfrontalier ;
- La confrontation entre l’Union africaine et la CPI, conduisant à la création d’une Cour criminelle africaine ;
- Le développement de régimes de sécurité internationaux alignés sur les stratégies de sécurité nationale.
Parallèlement, les architectes d’un nouvel ordre mondial mettent l’accent sur le respect de la souveraineté en formant des blocs régionaux basés sur des histoires partagées, des intérêts militaires stratégiques et des agendas politico-économiques, informés par des données stratégiques analysées de manière systématique. Exemples :
- ASEAN – Association des nations de l’Asie du Sud-Est (10 États)
- UNASUR – Union des nations sud-américaines (établie en 2008)
- UA – Union africaine (55 États membres, succédant à l’OUA, établie en 1999)
- SAARC – Association sud-asiatique pour la coopération régionale
- PIC – Communauté des îles du Pacifique
- UE – Union européenne (Traité de Rome, 1958 ; Traité de Lisbonne, 2009)
- USMCA – Successeur de l’ALENA, établi en 2020
- CCG – Conseil de coopération du Golfe (établi en 1981)
- LA – Ligue arabe (établie en 1945)
- UEEA – Union économique eurasiatique
Pour rester compétitifs et souverains dans ce paysage en évolution, les États africains doivent :
- Suivre les stratégies et politiques innovantes des autres États ;
- Analyser les tendances socio-économiques et géopolitiques ;
- Surveiller les systèmes financiers mondiaux, les stratégies de communication et les alignements de pouvoir pour prendre des décisions éclairées et proactives.
Le thème central de cette étude est le rôle de l’intelligence collective dans l’affirmation de la souveraineté africaine dans le contexte post-guerre froide. Cette discussion permet une compréhension plus approfondie de la manière dont les principes de souveraineté des États, d’égalité juridique et de non-intervention interagissent avec les réalités du droit international et des institutions mondiales.
En explorant l’ordre mondial post-guerre froide comme une nouvelle frontière de la diplomatie internationale, l’étude revisite des modèles historiques tels que l’ordre westphalien et critique la persistance de la domination hégémonique. Elle met en évidence comment les anciens systèmes d’alliances et les centres de pouvoir émergents (par exemple, l’UA, l’ASEAN, l’UNASUR, la SAARC) ont contribué à l’instabilité mondiale se manifestant par le terrorisme et les conflits transnationaux.
En analysant l’équilibre des pouvoirs de la guerre froide à la réalité multipolaire actuelle — notamment à la lumière des développements récents tels que le conflit russo-ukrainien depuis 2022 — l’étude souligne la nécessité d’une évaluation pluridisciplinaire de la politique mondiale. D’un point de vue axé sur le pouvoir, l’intelligence collective permet aux États africains de mieux comprendre les dimensions géo-historiques, économiques, socio-culturelles et politiques du pouvoir mondial, informant ainsi leurs stratégies de sécurité et de développement.
En conclusion, l’évolution d’un nouvel ordre mondial — marqué par une transition des systèmes bipolaires et unipolaires vers un panafricanisme renouvelé — exige que les États africains exploitent pleinement l’intelligence économique. Cela leur permettra de réaffirmer leur souveraineté, de protéger leurs intérêts nationaux et de contribuer de manière significative à la configuration de la gouvernance mondiale.
Bibliographie
- Richard H. Sanger, Insurgent Era: New Patterns of Political, Economic, and Social Revolution, édition révisée, Washington : Potomac Books, 1970.
- Henry Kissinger, World Order, New York : Penguin Press, 2015.
- Michael Radu, « Introduction », in The New Insurgencies: Anti-Communist Guerrillas in the Third World, éd. Michael Radu, New Brunswick, NJ : Transaction Publishers, 1990.
- Melvin A. Goodman (éd.), The End of Superpower Conflict in the Third World, Boulder, CO : Westview Press, 1992.
Dr Daniel Ekongwe